28 avr. 2009

Noir Canada et les sociétés minières canadiennes


Un an après la sortie du livre Noir Canada: pillage, corruption et criminalité en Afrique, les auteurs Alain Deneault, Delphine Abadie et William Sacher peuvent enfin respirer...sans trop déplacer l’air. Une décision récente de la Cour supérieure a donné un espoir à nos trois auteurs: mettre fin à la préparation du procès et conserver les choses selon des proportions. Une poursuite de 6 millions provenant de Barrick Gold et 5 millions supplémentaires par Banro, deux grandes sociétés minières canadiennes, a été intenté contre la maison d’édition Écosociété en avril 2008 pour avoir publié cet ouvrage qui fait mention des activités et des pratiques controversées du secteur minier canadien. Ce dossier pourrait être reconnu comme étant “une première reconnaissance juridique du déséquilibre entre les parties”.

En vertu de la loi de l’accès à l’information, les auteurs ont pu trouvé des documents renfermant des cas d’abus dans les pays d’Afrique qui sont le résultat des entreprises minières de chez nous: mineurs enterrés vifs en Tanzanie, empoisonnement massif et «génocide involontaire» au Mali, vendeurs d’armes et mercenaires de la région à feu et à sang des Grands Lacs, collusions mafieuses dans l’Ouganda voisin et plusieurs autres situations, aussi horribles que celles-ci. Les auteurs ont décidé de publié un article dans le Devoir hier ayant le titre Le Canada, paradis judiciaire de l’industrie minière. On peut en déduire que notre pays ne tient pas plus qu’il le faut à contrôler ce genre de situations.

Un rapport inutile

Depuis mars dernier, un rapport gouvernemental intitulé Renforcer l’avantage canadien a été produit pour assurer que ces sociétés extractives canadiennes se sensibilisent à leur responsabilité sociale à l’extérieur du pays. Il est encore trop tôt pour savoir si ce fameux rapport a des incidences favorables, mais à mon avis, il ne faut pas trop espérer. Ces compagnies minières savent comment détourner ces ententes de principes en séduisant par un impact financier considérable.

Considérant que 60% des entreprises minières du monde proviennent du Canada, c’est une grande réussite et qui rapporte beaucoup, et sans avoir à tenir compte d’une quelquonque juridiction. C’est pourquoi Noir Canada a fait l’apologie de l’industrie minière Barrick Gold en listant toutes les allégations qui pèsent contre eux: destruction environnementale, pillage, contrebande, évasion fiscale, expropriation violente et abus économiques en sont quelques exemples. Il semble évident que des mesures sérieuses doivent être implantées pour éviter que des sociétés canadiennes se permettent de commettre des délits qui seraient impensables ici. Et ce fameux rapport est loin d’être une mesure proportionnelle au problème actuel.

Les industries minières canadiennes qui s’installent à l’étranger ne sont pas contraintes à respecter une juridiction bien de chez nous, ce qui peut entraîner toutes sortes d’abus des droits de la personne. Le rapport Renforcer l’avantage canadien indique clairement qu’il en revient aux États plutôt qu’aux entreprises de fixer les obligations en ce qui a trait aux droits de la personne. Le Canada occupe seulement une position de supervision et de recommandation dans le dossier de ces sociétés minières qui se localisent surtout dans les pays du tiers-monde. C’est loin d’être suffisant: un modèle de suggestion ne peut empêcher ces sociétés de commettre des crimes inimaginables.

Le projet de loi qui a été déposé au début du mois par la ministre de la Justice du Québec, Kathleen Weil, pourrait s’avérer une solution. Les poursuites-bâillons, celles qui sont intentées par des firmes qui veulent faire taire les groupes de mobilisation, seraient alors rayées de la carte par les tribunaux. Dans le cas de la petite maison d’éditions Écosociété contre la minière Barrick Gold, le demandeur aurait à prouver que son action est légitime et qu’elle ne vise pas à museler personne...de meilleures probabilités pourraient voir le jour pour Écosociété si le projet se concrétise.

Une impuissance volontaire

À ce qu’on dit, il ne faudrait même pas envisager des poursuites au criminel; le conseiller désigné pour cette affaire ne pourra pas l’évaluer seul, ce qui nécessite le consentement de l’entreprise fautive pour l’examen de dossiers. Et pourquoi pas nommer un ombusman pour équilibrer les faits? Les propositions des tables rondes nationales sur la responsabilité sociale et l’industrie extractive minière dans les pays en développement connaissent peu de succès. Des solutions qui ont échoué l’une après l’autre, ce qui laisse croire que le Canada adopte un silence noir, pour cadrer avec le thème du livre. Comme l’a si bien dit Jamie Kneen de l’organisation Minning Watch: «Tant que le gouvernement du Canada ne fera pas partie de la solution, il continuera de faire partie du problème. Un laisser-faire qui, de toute évidence, encourage le développement de nos “avantages canadiens”, mais aussi ses envers du moins pervers.

On se demande comment ces compagnies minières se sont rendues jusqu’à commettre des crimes contre les droits de la personne -chose dont il n’est plus question au Canada- sans même que le gouvernement canadien n’intervienne. Le livre répond bien à cette question en affirmant que le Canada a intérêt à prendre possession des ressources disponibles dans un pays comme l’Afrique et d’en retirer des profits financiers inimaginables, sans même avoir besoin de respecter des conditions de travail qui semblent des plus normales au Canada. C’est sans compter ces profits qui prennent place, entre autre, à la Bourse de Toronto qui, selon les auteurs, joue le rôle de paradis judiciaire et s’alliant et des compagnies minières et pétrolifères et en leur garantissant une protection contre tout ce qu’ils font de “méprisables” à l’étranger. Et c’est justement à quoi je voulais en venir.

Les auteurs de Noir Canada ont insisté dans leur article du Devoir pour que les citoyens, s’ils jugent inapproprié que l’industrie minière soit endossée par différents fonds collectifs publics et privés de la Bourse de Toronto auxquels ils participent également, doivent recourir à leur pouvoir collectif en mettant sur pied un organe de collection et de synthèse des critiques à l’instar de la société minière, pour faire avancer les choses.

Dire que la justice est entre nos mains n’a jamais eu autant de sens.

Josianne DESJARDINS

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